Il n'y a pas beaucoup de temps, dans ma semaine.
Il n'y a pas beaucoup de temps, dans ma semaine. Il y a beaucoup d'heures de transport, pour aller d'un collège à l'autre, d'un élève à l'autre. J'ai mon casque rose, ma musique, mon écharpe. Je gère. Je souris, je chante dans les rues des petits villages un peu deserts. Je ris quand j'aperçois une jeune fille avec des dreads chocolats et framboises, suivi d'un petit bout de chien blanc à la queue rose vive. Je souris quand un collégien me demande ce que je lis. Anna Gavalda, en ce moment. Quand j'explique ses lignes à ma sœur, je parle des personnages principaux, aimantés par ceux qui sont un peu brisés, un peu décalés, un peu ailleurs. Un peu plus beau que les autres. Je dis que ces personnages, c'est un peu moi, et ma ronde de ceux qui me sont proches, tellement différents, tellement grands.
Je parle très souvent de mes six élèves, ceux dont je m'occupe en tant que professeur. J'aime dire ce mot, j'aime avoir le droit de me poser dans les fauteuils des salles réservées, et j'aime ce que je fais. J'aime les yeux verts de M, j'aime les mèches de cheveux de T qui tombent dans ses yeux, j'aime les mots intelligents de O, j'aime le sourire aux canines coquines de J.B, j'aime les yeux bleus de Tho et sa timidité. La même timidité que ma jolie A. Et même si j'ai du me fâcher pour la première fois, contre T. qui m'avait séché mon cours, je ne voudrais être nul part ailleurs. Juste mes élèves et moi, un à la fois. Expliquer le règne de Louis XIV, ou la relation de Rimbaud et Verlaine. Faire des grands gestes des mains, alors qu'ils m'entendent très bien avec leurs appareils qu'ils dissimulent, tous.
Et comme je trouve mon temps trop creux, j'ai rajouté des heures d'interprète, de codeuse. Et je traine mes bottes marrons dans des couloirs de BTS. Je retrouve ma jolie I., et on discute beaucoup. On rentre avec le même bus, alors que le ciel se dilue en noir et gris. Et dans l'obscurité, plusieurs fois, on se met à rire toutes les deux. Et c'est juste tellement fantastique à chaque fois, ce fou rire qu'on a toutes les deux alors qu'elle ne peut pas m'entendre, qu'elle voit mon rire juste sur mes lèvres et mon visage. Et le sien qui est tellement grave et tellement parfait.
Et dans le reste de mes miettes de temps, je pars m'enfouir dans les fauteuils rouge sanguins du cinéma, et je me nourris autant du film que des murmures de ceux qui m'accompagnent. Et même attendre quatre heures devant une salle de concert, ce n'est pas si terrible que ça. Il y a le froid, mais il y a tout le reste. Les discutions, les gâteaux sucrés et les rires couverts par les écharpes. Et le spectacle de M, juste magique.
L'année dernière en novembre, j'étais en Italie. Cette année, je suis moins loin, mais ça n'a pas d'importance. Cette année, il y a des sourires partout, et les lumières de décembre sont déjà là.
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